A vous, avec qui je me suis brouillée un jour….
Instit, j’ai fait lire des dizaines de fois à mes petits élèves un album qui s’appelle la brouille, de Claude Boujon. Deux lapins voisins se brouillent pour des broutilles, chacun en venant à ne pas tolérer ce qu’il considère les défauts de l’autre… La brouille dure jusqu’à la survenue du renard. L’occasion semble trop belle pour le prédateur : il pense qu’il n’a qu’à se pencher pour cueillir deux proies d’un coup, trop occupées à se battre pour voir arriver le danger. In extremis, les deux compères aperçoivent la menace, et se sauvent. Le danger les aura poussés à s’entraider et à se réconcilier et à réévaluer leur tolérance réciproque aux imperfections de chacun.
Une amitié, ça a des hauts et des bas, des moments où l’on se fréquente plus, d’autres où l’on s’appelle moins souvent. Et le philosophe contemporain Charles Pépin me permet de cheminer sur le sujet précieux de la rencontre de l’altérité. Pour lui, rencontrer l’autre, c’est être disponible à l’accueil de l’imprévu, et cette disponibilité se travaille dans un subtil mélange d’attentes modérées et de curiosité. Cette rencontre, dans une vision aristotélicienne ou hégelienne – dixit Pépin, véritable challenge d’être un philosophe crédible avec un tel nom – est ce qui permet à chacun de révéler les potentiels et les possibles qui sommeillent en soi. Et Jacques Salomé, autre penseur des temps modernes, de définir l’intimité qui nait de ces rencontres : « L’intimité, c’est de pouvoir déposer des rêves et des projets dans les possibles de l’autre, avec l’espoir de pouvoir en réaliser quelques-uns ensemble ». Je regarde, dans le rétroviseur de ma vie, et je revisionne mes rencontres et attachements à la lumière de ces enseignements. Et je regarde, et surtout me prépare, à mes rencontres futures ainsi qu’aux futurs potentiels de mes relations actuelles.
Mais les lapins et les philosophes n’ont pas tout exploré du danger d’une brouille et de certains potentiels funestes d’une relation. Un événement aussi tragique que récent m’a ouvert les yeux dans la douleur extrême d’une perte fracassante.
Dans l’histoire de lapin grisou et lapin brun, les deux voisins querelleurs se rabibochent pour se protéger d’un danger commun. Et si le plus grand danger n’était pas un tiers mais le simple état de brouille ? La brouille est souvent issue de mécanismes de défense mis en action pour se protéger de la réouverture d’une ancienne blessure. Et chacun y va de l’accusation de l’autre, se débattant avec une difficile prise de responsabilité de laver son propre linge sale émotionnel.
Cela ne veut pas dire qu’on ne doit pas autoriser à partir quelqu’un qui le souhaite du fond de son cœur. Cela veut juste dire qu’il faut éviter de prendre des décisions radicales, poussé par des émotions de colère, de vengeance, de jalousie, de frustration, de réouverture d’une blessure. Sachons sereinement accepter que nos rêves ne coïncident pas avec les possibles de l’autre, que l’autre n’ait pas le terreau pour accueillir les graines que nous souhaitions semer. Sachons laisser partir l’autre dans la gratitude de ce qui aura été vécu. Et sachons panser nos propres blessures pour apprendre à nous rabibocher.
Elle s’appelait Claudia….. Elle avait mon âge ….. Elle avait plein de projets….
Et un de mes écrits a engendré une brouille entre nous, pendant quelques mois. Ou plus exactement les modalités que j’utilisais pour vous faire parvenir mes missives. Envoyant en liste publique, dans la meilleure des intentions à mes amis, je ne prenais pas soin de respecter la privacy des adresses mail, précaution et discrétion si importantes aux yeux de certains. Et la peur des virus informatiques de Claudia percuta ma blessure de rejet. Je la supprimai rageusement de ma liste de diffusion, dépitée. Surtout que son avis d’écrivaine comptait pour moi. On est rarement blessé par la réaction de quelqu’un dont on se fout… Je la rajoutai ensuite, une fois revenue à une certaine raison, pour finalement la supprimer de nouveau, non pas pour moi mais simplement pour l’autoriser à ne plus recevoir ma prose, donc dans une logique de liberté et non de sanction de cour d’école maternelle.
Et heureusement, je l’ai appelée il y a quelques mois. Nous avons bien échangé, et mon cœur blessé s’est raccommodé. Nous nous sommes promis de nous appeler et de nous revoir plus souvent.
Mais ce ne sera pas le cas, la vie en a décidé autrement.
J’ai pu lui rendre hommage, de loin, par ma prose qui l’avait un peu indisposée.
Claudia,
Notre rencontre a été digne d’une des pièces jouées ensuite ensemble sur la scène de la ferme. Deux mums qui viennent inscrire leurs filles au piano. Et d’un détail, nait une conversation, une collaboration, des projets, une amitié. Dans ma mémoire, le hitparade, le top 50, le best-off des moments se compte par centaines. Pour n’en citer que quelques anecdotes….
Le recrutement de nos filles déguisées en téléphones pour passer un message à nos spectateurs.
A propos de téléphone, la fameuse soirée où la technique en a fait retentir la sonnerie inopinément.
La fameuse soirée où le texte s’est dérobé, le charme du direct, les risques du théâtre
Le choix des rôles, le choc des phrases
Le choix des rôles, le choc des phrases
Un peu toquée mais dans le bon sens du terme, comme ce personnage de Lili qui tu as si finement interprété, comme ce personnage de Lili que tu as si finement interprété (NB : dans la pièce de Laurent Baffi que nous avons interprétée, son Toc était de dire toujours les choses en double)
Finement, comme tout ce que tu entreprenais
Les journées à repeindre les décors stockés dans mon garage
Les verres à la piscine après répétition,
Ta cachotterie sur la vraie identité de Jay Oakley, auteur de la pièce Hotel Panorama
Je crois que c’est en te rencontrant que j’ai découvert qu’on pouvait faire moins d’un mètre 60 et oser tout.
Et je n’ai pas été la seule ! Tu sais qu’Annabelle a pensé à toi en s’inscrivant à son premier marathon. C’est ta performance qui a fait germer dans son esprit l’idée que ce challenge était possible. Il faut dire qu’elle fait aussi partie du groupe des under 160, et tu l’as inspirée à oser !
C’est cela qui rendu magique chaque rencontre que tu as faite, une ouverture sur tous les possibles
Toujours un projet en cours, toujours un projet d’avance
Toujours un projet en cours, toujours un projet d’avance
Merci de m’avoir rencontrée, intégrée, inspirée
Muriel
Alors oui, Claudia a été tour à tour une rencontre, une brouille, une réconciliation, et aujourd’hui une perte douloureuse. Que plus douloureuse encore aurait été cette perte sidérante si la brouille était demeurée active ! L’abîme intérieur n’en serait que plus profond, la plaie encore plus béante, et le réconfort du deuil plus tardif… assurément.
Alors, pensez à dire tous les jours à vos proches que vous les aimez, pour que s’ils tombent à l’improviste sous les coups de couteau d’un détraqué ils emportent la chaleur de votre amour avec leur dernier souffle. Et renouez avec ceux avec qui vous êtes brouillés, pour ne pas errer le reste de votre vie avec cette béance des remords et des regrets. L’absence est déjà assez lourde à porter, allégez votre fardeau !
Faisons de nos brouilles ce qu’elles doivent seulement être, une altération TEMPORAIRE de nos rapports affectueux.
Je vous aime,
Mu