Mon premier Opéra loin de Vérone depuis des années …. Une infidélité assumée 😉
Quand mon amie swisso-dubaïote me proposa d’assister pour mon anniversaire à une répétition générale réservée aux anciens de l’Opéra de Paris, je ne pus que dire, crier, sauter, OUI !!!!

Je retrouve donc l’Opéra Bastille, assez différente de mes souvenirs d’il y a 25 ans ! Il faut dire que les billets de mon amie nous plaçaient aux premiers rangs, à deux pas de la fosse d’orchestre.

Au programme, une œuvre inconnue de moi, en apparence ….. Lucia di Lammermoor, de Donizetti.
J’avais gardé un excellent souvenir de l’élixir d’amour du même compositeur italien du 19ème. Ici, Lucia di Lammermoor va m’émouvoir comme je l’ai été peu souvent.
Qui est donc cette Lucia ? Dans les collines de Lammermoor, au sud de l’Écosse au tournant du 18ème, Lucia Ashton retrouve à chaque aurore un mystérieux jeune homme dont elle est amoureuse : Edgardo de Ravenswood. Mais comme dans Roméo et Juliette de Shakespeare, les amants sont issus de deux familles ennemies et n’ont pas le droit de s’aimer. De plus, le frère de Lucia, Enrico, est désespéré : sa famille est au bord de la banqueroute et il ne sait plus quoi faire pour la sauver. Lui vient alors l’idée de marier sa sœur à un autre seigneur, Arturo Bucklaw, afin que ce dernier accepte d’éponger ses dettes. Déterminé à voir son plan se concrétiser, il va jusqu’à mentir à sa sœur en lui faisant croire que son amant lui est infidèle. Pour terminer de la convaincre, il charge le confident de sa sœur, Raimondo, de la faire culpabiliser quant à son attitude de refus. Pensant avoir obtenu ce qu’il voulait, il découvre avec horreur que le soir de ses noces, plutôt que de se compromettre avec un autre homme, Lucia tue son mari et sombre dans la folie ( à moins que ce ne soit l’inverse …) .
Comme vous l’aurez remarqué, les noms ont un petit côté anachronique qui révèle le passage de l’Ecosse de l’œuvre initiale à l’Italie de l’œuvre de destination. Le livret, du dramaturge italien Salvatore Cammarano, est en effet issu d’un roman du grand écrivain édimbourgeois Walter Scott, celui-là même qui écrivit Quentin Durward. Moi qui ai passé une partie de mon enfance à regarder cette première série éponyme de 7 épisodes diffusés par l’ORTF à partir de 1971, rendez-vous ponctués par l’inénarrable générique Quentin Durward (par Jacqueline Boyer) – fiche chanson – B&M (bide-et-musique.com). Autre trésor cathodique un peu suranné de Sir Walter Scott, Ivanhoé, avec le non moins inénarrable générique Wilfried d’Ivanhoé, chevalier du Roi Richard Coeur de Lion (radiofrance.fr) Wilfried d’Ivanhoé, chevalier du Roi Richard Coeur de Lion (radiofrance.fr)
Pour écrire Lucia di Lammermoore, Walter Scott s’inspira de l’histoire authentique de Janet Dalrymple, tombée amoureuse d’un pauvre pendant qu’elle était fiancée à un autre homme dans un mariage arrangé. Elle poignarda son mari pendant sa nuit de noces, le payant de sa raison. Son fantôme hanterait toujours le château de Bladnoch/Baldoon, et certains visiteurs du château à des heures tardives de la nuit remarquent parfois une femme errant en chemise de nuit blanche trempée de sang…

Par son succès immédiat, cet opéra va sauver le théâtre de Naples de la banqueroute. L’œuvre avait d’ailleurs été commandée à cet effet, en guise de dernière chance pour la survie du théâtre napolitain.
L’adaptation d’un roman en livret demande d’effectuer des choix cruciaux pour rester dans une durée convenable ; celui-ci articule avec beaucoup d’habileté les péripéties entre elles, et fusionne trois personnages en un seul. Ainsi, le frère de Lucia, Enrico, hérite de la position sociale du père (chef de famille et Lord), du caractère de la belle-mère (autoritaire, arriviste, méchante et ambitieuse socialement) et du nom du frère (Henry). Et pour les besoins d’efficacité dramatique liés à l’opéra, le rôle de Lucia est transformé, passant d’un être sentimental et presque enfantin à une femme déterminée et énergique, moderne et libre.
Et pour mieux articuler le drame et condenser l’action, Cammareno et Donizetti ont utilisé plusieurs procédés, qui touchent l’enseignante que je fus, suis, et serai toujours, abreuvée pour l’éternité d’analyse des schémas actanciels de Propp dans les contes.
– La concision dramatique dans la première scène de l’acte I où le dialogue entre un chœur fanatique et Normanno (chef des hommes d’armes) permet une superposition à la fois de l’exposition de la situation initiale et de l’annonciation du dénouement dramatique.
– Reprenant des procédés dramaturgiques efficaces des tragédies antiques, dans l’acte II, l’arrivée imminente de l’époux prévu (Arturo) renforce le climat dramatique intense de la fin du duo entre Enrico et Lucia.
– Dans l’acte III, les auteurs insèrent dans la tradition italienne un grand chœur de fête qui sert de repoussoir au drame, comme dans le troisième acte de La Traviata de Verdi.
Dans la version 2023 de l’Opéra de Paris, la mise en scène d’Andrei Serban s’appuie sur des décors à la fois figés et mouvants. Un univers presque carcéral d’une caserne, avec des coursives articulées, où chaque accessoire se meut pour accueillir des acrobates, un duel puis la crucifixion mentale de Lucia.

Ce soir de répétition générale, on a eu une distribution remarquable.
Deux voix masculines m’ont donné la chair de poule :
– le basse, Adam Palka, chapelain des Ashton et précepteur de Lucia a évidemment incarné certains rôles puissants du répertoire lyrique, tels que Méphistophélès (Faust) ou encore le Commandeur (Don Giovanni).
– le baryton, Mattia Olivieri, est exceptionnel. Aussi convaincant qu’élégant ! Comme Valentin le frère de Marguerite dans le Faust de Gounod, un vrai rôle de soliste pour cette tessiture entre ténor et basse.
Et que dire de la Soprano Brenda Rae, à la technique vocale irréprochable couplée à une sensibilité dramaturgique qui font d’elle une grande cantatrice et une grande actrice. Même sur une balançoire ou sur une poutre, en équilibre, en déséquilibre, hors sol, la puissance et la justesse sont au rendez-vous. Quel talent ! Le duo entre la cantatrice et une flûte (initialement un harmonica de verre)dans une scène de basculement vers la folie est d’une émotion improbable, une communion parfaite. Et l’air de la folie (il dolce suono) est l’un des plus longs du répertoire lyrique, une quinzaine de minutes !

A Vérone, j’avais découvert le bis du chœur de Nabucco, ici j’ai découvert le salut intermédiaire après un solo, l’artiste venant se présenter devant le rideau baissé en fin d’aria. Il faut dire que c’était mérité … Petite observation au passage : le parterre étant composé d’anciens de l’opéra, les départs impolis en cours de salut des artistes furent très limités … Je conseille aux pressés mal éduqués de se contenter de manger du popcorn devant leur série Netflix…
Je me pensais vierge de cette œuvre en entrant dans l’auditorium. Mais il n’en était rien.
Le prénom de Lucia ne peut que me rappeler des éléments forts de ma vie, notamment un livre écrit par une amie italienne (et dévoré par mon jeune chien qui dût, lui aussi, le trouver à son goût), décrivant le poids transgénérationnel d’un enchaînement tragique de crime passionnel et de basculement dans la folie…
Le basculement dans la folie dû à la part prise dans le décès d’un conjoint ne peut que me rappeler mon rôle de Blanche dans un Tramway nommé désir. Là, ce fut une phrase qui s’avéra meurtrière, déclenchant le passage irréversible dans une altération de la réalité chez l’héroïne.
Mais mon lien le plus fort avec l’œuvre, je le découvris en parcourant la toile à la recherche de l’air de la folie ; quelle ne fut pas ma surprise de découvrir que vous et moi avons déjà écouté mille fois en 1997, au moment de la sortie du 5ème élément, l’air il dolce suono de ce même opéra : https://www.youtube.com/watch?v=VQaROYYJ5zk.

Or ce 5ème élément marqua l’arrivée en ce monde de ma deuxième merveille du monde 😊