On est sur le point de tourner la page d’une année pour ouvrir le livre de l’année à venir. Et tout semble aller de plus en plus vite. Seulement cinq ans pour reconstruire une cathédrale ancestrale dévorée par les flammes ; un régime dictatorial de 25 ans, renversé en 10 jours ; des gouvernements occidentaux éphémères. Un monde où il faut chaque jour concentrer son esprit sur les quelques grammes de finesse, au milieu de toute la brutalité.

Alors que je passe mes journées à essayer d’éduquer petits et grands à la prise en charge de leurs émotions, je découvre le nouvel opus de Laurent Gounelle. Son cru 2024 se nomme Un monde presque parfait. En écho à des versions plus anciennes, pour moi qui ai dévoré la littérature anglosaxonne d’ Orwell à Huxley, le meilleur des mondes est-il vraiment à venir, voire même déjà là ? C’est dans cet esprit que je me plonge dans cette nouvelle dystopie, qui permet d’aborder encore des volets clés de la condition humaine. Près de 100 ans après les étalons en la matière, nous voici dans une version post COVID d’un monde technologique peuplé de « réguliers », rejetant hors de ses frontières un monde naturel, qualifié de sauvage et peuplé « d’exilés ».

Et nous voilà au milieu d’un peuple suréquipé, doté, que dis-je pourvu, envahi, muni, armé d’implants régulateurs d’émotions, presque digne de certains épisodes de la série Black Mirror. Et la réalité n’est pas si éloignée, moi qui viens de faire travailler mes élèves de BTS sur un accessoire digital donnant accès à ses données médicales, permettant de communiquer son âge à l’entrée des bars ou encore autorisant l’interviewer de scanner l’iris du postulant pour un emploi. David Lisner ne serait donc pas vraiment le héros d’une dystopie, mais bien tout droit issu de notre quotidien… Et je ne peux m’empêcher de me demander : « mais où ça a merdé ? »

Au fil des pages, guidés par un fervent défenseur du système des « réguliers », des rentrés dans le rang, des soumis obéissants – le fameux David Lisner – nous découvrons un monde où il n’y a plus besoin de travailler, l’Intelligence Artificielle ayant remplacé la majorité des postes et tout le monde percevant un revenu universel sans rien faire. Ça paraît le paradis, n’est-ce pas, de rester toute la journée chez soi à jouer aux jeux vidéo, à se balader dans le métaverse ou à regarder des films…Pour la danseuse, la triathlète et l’animal sociable que je suis, ça apparaît rapidement comme un enfer, plus que comme un Eldorado.

Alors que je guette régulièrement la météo sur mes applications, et que je proteste quand elle se trompe car cela perturbe mon programme de course à pied, les messages invasifs des systèmes d’information du monde « parfait » me semblent très vite oppressants, la précision de la prédiction climatique étant assortie de tout un florilège de conseils ou consignes à appliquer au risque de rappels stridents. Impossible de laisser la fenêtre ouverte si la pluie est attendue. Derrière cette banalité apparente se cache la disparition progressive du choix de chaque individu. Dans le monde parfait, exit l’esprit critique et la liberté de se tromper … et donc d’apprendre de ses erreurs. Toute ressemblance avec notre triste réalité …. n’est pas le fruit du hasard.

Il y a un domaine où le livre est presque plus drôle que la réalité, c’est celui des rencontres intimes. Dans la vraie vie, passé l’enthousiasme des premières navigations sur les sites de rencontres, la réalité d’un grand dénuement relationnel bien décevant se fait jour. Dans le monde des réguliers, dans cet univers parallèle presque parfait, chacun est carrément noté en fonction de ses performances charnelles, gagnant ou perdant des points au fil de ses ébats. L’abstinence y coûte très cher… Des rencontres basées sur des profils soi-disant parfaits mais dans un process totalement dénué d’humanité et supprimant tout subtil imprévu et toute charmante imperfection. Finalement, plus aucune réelle rencontre, au sens de ce qui peut nous transformer, au sens de mon cher philosophe Charles Pépin ! Bref, dans le monde imaginé par Gounelle, les « réguliers » sont juste allés un cran plus loin que la réalité, mais seulement un petit cran car aujourd’hui on a déjà des sites de rencontre qui permettent de noter l’autre et la surconsommation charnelle a déjà considérablement mécanisé l’acte, venant à bout d’une grande part de l’humanité des rencontres.

Dans ce monde idéal, tout est connecté, tous vos comportements sont transmis et centralisés en vue d’une récompense ou d’une réprimande. La vie quotidienne dans ce monde idéal et rythmée par des jeux qui ne sont que la carotte et le bâton des temps anciens, avec comme récompense des montres qui probablement permettraient à certains de dire que s’ils en ont une à 50 ans, ils ont réussi leur vie. Dans la vraie vie de 2024, on a déjà des conjoints jaloux et possessifs qui tracent au quotidien leurs épouses supposées volages à l’aide d’objets connectés. Le temps s’accélère et le contrôle de l’homme sur l’homme devient de plus en plus efficace. Il y aura bien un taré pour trouver que Gounelle expose là des idées géniales !

Moi qui essaye de donner des astuces aux gens pour à la fois accueillir leurs émotions et s’autoriser à utiliser quelques outils pour faire venir des émotions plus favorables, dans ce monde presque parfait, une simple décharge de sérotonine par un implant vous permet de retrouver la pêche. Il y en a que ça ferait probablement rêver….

Si vivre, c’est décider, alors vit-on quand ce sont les machines qui conditionnent notre chemin de vie, et quand toute divergence entraîne une radiation ou une expropriation, voir même une ex communion ?

Le chanteur Florent Pagny clamait haut et fort, pendant mes tendres années, « vous n’aurez pas ma liberté de penser ». Qu’en est-il de notre pensée quand on la sous-traite déjà partiellement à une intelligence artificielle ? Combien de nous parlent déjà à notre ChatGPT ou à notre Alexa, comme si c’étaient de vrais interlocuteurs ???? Moi je dis encore bonjour et merci, et vous ? Et peu à peu à force, ne plus utiliser leurs fonctions cognitives, les gens de ce monde idéal finissent par perdre tout un tas de compétences, dites de haut niveau mais aussi leurs fonctions exécutives à savoir la planification, l’organisation et même la mémorisation avec la restitution des informations. Dirigés par les shoots de dopamine recherchés en permanence, cherchant la gratification immédiate et le moindre effort, l’homme devient peu à peu asservi et incapable d’apprendre. Ne vaut-il pas mieux être victimes de nos trous de mémoire et de quelques-uns de nos biais cognitifs, plutôt que de nous en remettre à des algorithmes qui nous dépossèdent de notre propre vie car supplantent notre propre pensée ?

Et le livre explore les fondements même de la dépendance affective et de la manipulation, mes deux marottes : chacun est conditionné à faire seulement ce qui va être valorisé par les autres. Combien de nous sont déjà accro aux likes ou aux commentaires et cherchent à publier frénétiquement sur les réseaux sociaux pour avoir des retours gratifiants ? 

Qu’il devient plus facile de manipuler ses comportements, tout en laissant la masse croire qu’elle jouit d’une illusion de liberté quand cette masse court après le plaisir et ne sait plus penser, bref, ne plus être…

Et le régulateur d’émotions du monde idéal, non content d’envoyer des hormones du plaisir à aux habitants réguliers (soumis, conditionnés, serviles, résignés, domestiqués, apprivoisés), brouille jusqu’à leurs sens, colorant le monde de couleurs, d’odeurs et de sons enjoués. Chez les réguliers, une vie au pays du kiff, High h24 ! Le paradigme du tous shootés, tous lobotomisés ! Ce paradis artificiel permet à chacun de se sentir bien dans un monde virtuel, dans lequel chacun dispose de pouvoirs exceptionnels. Est-ce vraiment cela qui nous attend ? Et au fil du livre, on réalise que l’on est déjà plus passé de l’autre côté, en route vers ce monde soi-disant idéal où Facebook et ses algorithmes scannent déjà nos états d’être et induit également nos réactions et nos comportements. Pour info, dans la pénombre, Elon Musk aurait un projet allant bien au-delà du rachat de Twitter renommé X …. Rassurons-nous, cet individu a maintenant un rôle clé au sein de l’administration Trump. Pauvre monde ! Et si tout ce que l’on essaye de fuir via le plaisir, de régenter via le contrôle, ou de fantasmer via le virtuel était en réalité inhérent à notre condition humaine ? 

Un peu comme la grenouille que l’on plonge dans l’eau froide et qu’on laisse tout doucement bouillir et qui s’endort définitivement, nos sociétés occidentales que l’on érigeait en modèle encore récemment ont peu à peu accepté d’aller vers leur perte, Sodome et Gomorrhe des temps modernes, alors que la lecture des précédentes dystopies avait pourtant déclenché des réactions de rejet des mêmes projets qui sont actuellement en train de s’immiscer quotidiennement dans nos vies !

Et cette dystopie dans laquelle nous sommes en train de plonger, dirigés par ces hommes à l’égo démesuré, c’est comme un immense fonctionnement manipulateur et pervers, maniant avec fougue et détermination tous les ressorts de l’influence, à savoir la flatterie pour séduire, la culpabilité pour rappeler à chacun ses responsabilités, une fausse sympathie pour que l’on se sente compris, et une apparence de transparence pour nous inspirer confiance. Quoi de mieux que le récent discours du président français pour illustrer tout cela ?  Ma réforme n’a pas été comprise, clame-t-il ! Bref ce n’est pas moi qui suis en tort c’est vous qui n’avez rien compris qui êtes des idiots; ce sont les députés qui ont semé le chaos avec la censure, alors que j’avais fait un bon choix de dissoudre et de redonner la parole en français; et nous ensemble, nous allons sortir la France de cette ornière, ce nous qui n’a jamais existé dans cet esprit malin, qui n’est mu que par le JE et le VOUS qu’il oppose, et qui désormais tente de créer une illusion de proximité voire de fusion après tant de preuves de distinction entre le roi et ces sujets….

Un rapport explosif d’un sociologue – Marc Joly -risque de compromettre la vision de la situation 2024, et donc l’ordre établi et accepté, non questionné ! Tout comme dans le Gounelle, les dirigeants des réguliers cherchent à faire taire le rapport explosif d’un sociologue sauvage mais éclairé.

Espérons que l’héroïne exilée au prénom biblique et peut-être prophétique d’Ève aura raison et qu’un jour nous lâcherons le besoin d’avoir raison contre les autres que nous trouverons aussi ce qu’il y a de bon dans ce que proposent nos adversaires et que même peut-être le terme d’adversaire laissera la place à un fonctionnement plus collégial. Que les Députés 2024 nous entendent, car leur fonctionnement diabolique (du grec diabolos qui signifie celui qui désunit) est ce qui conduit à nos désunions et à notre malheur, alors que ce qui nous réunit crée la concorde et nous apaise… 

Et peu à peu, le héros David va donc retrouver le plaisir de l’incertitude, la joie de l’insatisfaction, le bonheur du doute, le doux inconfort du choix. Ouf ! Un qui va s’en sortir, en acceptant d’être un exilé, rejeté de la tribu dominante…. Tel est le prix pour regagner son identité et son humanité ! Dans l’opus de Gounelle à la fin, le héros peut encore choisir entre rejoindre sa dystopie qu’autrefois il chérissait ou s’aventurer dans le monde plus naturel des exilés. Et nous, quel choix nous reste-t-il encore ?


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