Quand je dis que la psychologie et l’éducation, c’est une paire indissociable … et quand j’explique que je couvre plusieurs domaines professionnels car l’un de mes champs d’intervention nourrit les autres…. CQFD !
Depuis un an que je forme des enseignants pour qu’ils soient plus attentifs à ce qui est en jeu lors du processus d’apprentissage de leurs élèves, je gagne encore en clarté et je mets des mots de plus en plus précis sur les maux qui empêchent d’apprendre.
C’est comme si l’acte d’enseigner et d’apprendre devenait comme un grand plateau de jeu géant. Si le pion se trouve sur la case « je ne me sens pas en sécurité », il peut aller directement à la case oubli ou opposition, les prisons de l’apprentissage. Et peut-être pire encore, si le joueur se trouve pris dans la spirale de la récompense, il peut à chaque tour redescendre les fameux barreaux de l’échelle et revenir plusieurs niveaux en arrière, stagnant encore et encore.
Mais quelles sont les règles du jeu de l’apprentissage … et des relations car TADAAAAA : ce sont les mêmes !
C’est comme si notre cerveau était composé de trois salles par lesquelles il fallait passer avec succès pour pouvoir être disponible pour apprendre ET pour se connecter à autrui. C’est comme si chacun de nous devait à tout moment effectuer un escape game invisible pour quitter avec succès les deux premières salles et enfin se retrouver dans la salle des trésors, la salle des apprentissages et des relations épanouissantes.
Alors à quoi ressemblent ces salles, et comment franchir les deux premières pour se voir délivrer le Sésame vers la 3ème ?
La première salle est celle de notre système polyvagal. Ce système qui se déclenche dès que l’on passe en mode survie, dès que l’on perçoit un danger. Ce danger peut être une insécurité générale, invisible bien souvent. Quel enseignant a su immédiatement réaliser que si papa était violent, je ne pouvais pas être disponible pour apprendre parce qu’un programme d’alerte tournait en permanence en arrière-fond de mon cerveau, mobilisant toutes mes ressources ? Ça peut être aussi une insécurité par rapport au fait même d’apprendre. Apprendre veut dire accepter que ce que l’on croyait savoir avant était incomplet ou faux. Autant dire que cela chamboule. Et apprendre ça veut aussi parfois dire « je vais être plus savant que papa, en ai-je le droit ? » Et quelles sont les réactions en cas de sentiment d’insécurité ? Les fameux FFF : Fight, Flight, Freeze. En français : je combats, je fuis, je me fige. Et voilà que l’on comprend les élèves qui s’opposent, oublient leurs devoirs ou somnolent au fond de la classe. Et voilà aussi que l’on comprend les réactions dans nos relations quotidiennes, chaque relation étant une occasion d’apprendre sur soi, sur l’autre et sur la vie. Comment parvenir à apprendre si on ne se sent pas en sécurité ? Impossible ! On entre plutôt dans des conflits qui n’ont d’autre but que de nous aider à gérer nos peurs, dans des fuites qui en réalité masquent nos plus grands rêves, et dans des figements qui finissent par avoir raison du moindre de nos désirs. Et un aliment majeur de cette insécurité, c’est de faire des suppositions…. C’est la machine à entretenir l’insécurité qui se met en route, à l’intérieur de nous-mêmes.
Alors comment fait-on pour passer cette première salle de l’escape game ? Il faut se sentir en sécurité, et faire sentir l’autre en sécurité. Vaste programme dans ce monde où tout nous stresse : infos, climat, transports, …Comment se sentir en sécurité soi-même ? En lisant, en se documentant, en prenant conscience de notre propre fonctionnement, de notre style d’attachement probablement insécure (heureux ceux qui ont pu se construire un style d’attachement sécure, ils ont un passe partout vers l’antichambre du bonheur et de a sérénité). Et si on se sent en sécurité, il est probable que l’autre se sente aussi en sécurité, et que la relation devienne enfin un espace où chacun pourra se développer. A condition, cependant, de se sortir aussi de la pièce numéro 2….
Et quand on est prof, comment aider les enfants à ne pas rester englués dans cette première pièce de la peur ? Déjà, il nous faut tailler en pièce nos propres peurs, ou plutôt les regarder avec courage, les yeux dans les yeux. La peur de ne pas être un bon prof, ce sentiment d’imposteur ou d’incompétence que l’on a parfois. Comment savoir si on l’a dépassé ? Il suffit de regarder comment on gère les élèves neuroatypiques. Si je suis en paix avec le fait que demain ils auront peut-être oublié ce que je leur ai expliqué aujourd’hui, et qu’on repartira sereinement de là où ils en sont parce que je suis là pour eux et non pour ma propre satisfaction d’avoir bouclé le programme et répondu aux exigences de cette institution stressante, alors ça veut dire que je ne suis plus là pour faire un show ni pour m’évaluer mais bien pour les accompagner. Et puis, l’enfant en face de moi, je me dois d’essayer de le comprendre. De l’empathie sans sympathie, une bonne dose de curiosité et d’échanges sur un pied d’égalité, une pincée d’observation et assaisonner d’un dialogue le plus fructueux possible avec le parents et autres partenaires. Exit les prophéties prononcées à la va-vite sur le devenir de l’enfant, haro sur les comparaisons péjoratives avec les aînés des fratries, et un radical changement du statut de l’erreur… fini le stylo rouge qui sanctionne et qui stresse sur le résultat au lieu d’accompagner le progrès. Bref, ça demande de faire un sacré ménage. Et les profs ne sont pourtant jamais accompagnés, n’ayant recours aux thérapeutes que lorsqu’ils s’effondrent, ayant malheureusement parfois pollué et endommagé des cohortes entières avant d’arriver à se faire accompagner eux-mêmes. Aucun groupe Balint proposé par l’institution, notamment pour les crises et cas difficiles ; débrouillez-vous chers profs pendant que l’institution ferme les yeux sur la maltraitance par ignorance qui se joue quotidiennement dans les salles de classes, les couloirs et les cours de récréation. On voit, depuis quelques mois une prise en compte des émotions des élèves. Mais autant parler chinois aux profs si dans le même temps l’institution continue de les heurter, les confronter, les malmener. Un changement ne pourra passer que par une prise en compte de l’humain, que l’on appelle cela QCVT (qualité de vie et conditions de travail), le développement des CPS (compétences psychosociales), ou autres appellations aussi robotisées que bien souvent vides de sens. On se donne trop souvent bonne conscience, on nomme un responsable de la QVCT pour permettre à tous les autres de s’en dédouaner. Vous l’aurez compris, l’Education Nationale – ou ce qu’il en reste – n’est pas sortie de l’auberge de l’insécurisation des élèves.
Si l’on arrive à franchir la première salle de l’insécurité, on se retrouve dans le deuxième process de notre cerveau qui peut nous jouer des tours pour apprendre et pour nous connecter aux autres. Dans cette société de l’excitation, notre système de récompenses est cul par-dessus tête, enflammé, à l’affut et aux aguets de tout ce qui pourra apporter un shoot de plaisir immédiat… et fuir tout ce qui demandera de l’effort, de l’attente, bref de la frustration …En apprentissage, on a vu fleurir les Dora l’exploratrice qui ne sont que des leurres de développement cognitif mais de magnifiques machines à entretenir et développer le besoin de plaisir immédiat. Et aujourd’hui, quel enseignant ne se désole pas du désintérêt des élèves pour tout ce qui demande un investissement et un report de ce dit plaisir. La solution est-elle vraiment de rivaliser d’ingéniosité en multipliant les concours et diverses ceintures de récompense ? Si on aidait les enfants à retrouver de l’ennui sain et un peu de frustration et à réfléchir sur leurs comportements et émotions ? Dans les relations, dans la cour des grands, c’est le grand jeu du kleenex qui prévaut : à la moindre anicroche, je jette et on prend du neuf, et comme l’herbe semble plus belle chez le voisin, c’est la valse infinie qui commence. On est bien loin de la philosophie Kintsugi si chère à mes yeux, où ce qui a été cabossé et réparé avec soin et amour acquiert encore plus de valeur. On est dans l’aire du soufflé : la relation s’emballe très vite sur fond de séduction, pour retomber morne et plate au premier désaccord. Il y a aussi les désespérés, qui essaient de regonfler de manière illusoire le système d’emballement dans une relation : et si je réussissais à transformer ce crapaud en prince charmant, et si cette relation valait tout de même un peu le coup. Non, certaines relations ne seront pas propices au kintsugi, et c’est maintenir artificiellement son système de récompenses en vie – grâce à un vain bouche à bouche à un mannequin à coup de rationalisations et justifications – que de continuer à remettre une pièce dans le juke-box. Il vaut mieux écouter sa musique intérieure, qui crie que l’on a un système d’attachement déréglé et qu’il faut apprendre à l’apaiser en soi, plutôt que de chercher à rejouer une musique surannée. Et dans les pires des cas, on trouve des as du système, qui savent parfaitement exciter le système de récompense chez l’autre… avant de le décevoir, activant de plus en plus une chimie émotionnelle qui se dirige progressivement vers un point de non-retour. Parmi eux, se trouvent les virtuoses des anglicismes en -ing. Parmi ces pratiques délétères on trouve le cricketing, qui consiste à recevoir un SMS, s’assurer que l’autre a vu qu’on l’avait reçu et ouvert … et attendre avant d’y répondre pour se faire désirer. No comment ! Sans parler de certains coachs qui font la promotion de ces techniques de manipulation pour les ériger en recettes de succès relationnel… On comprend mieux pourquoi les relations ressemblent parfois à des champs de bataille ou des parties d’échecs plus qu’à des connexions épanouissantes. Et si on apprenait de nouveau à s’ennuyer ensemble, et à communiquer au-delà du simple stade de la séduction ? Et si chacun lavait son propre linge sale émotionnel avant de se connecter à autrui ? Et si on acceptait de voir les défauts de l’autre comme normaux et non comme monstrueux, que l’on ne saurait plus voir…. Et si on acceptait de se voir et se montrer l’un l’autre vulnérables, sans faux-semblant ? Je propose que la première nuit se fasse de manière prosaïque, sans faux enchantement, pourquoi pas avec une charlotte sur la tête ! Je propose que l’on organise des nuits de panne charnelle programmée, d’échecs orgasmiques assumés et vécus avec humour et bienveillance, bref avec humanité et authenticité. Fini le plaisir immédiat, vive la connexion, le partage.
On peut alors passer dans la salle des trésors. En apprentissage, c’est quand le cerveau est en mode exploration et flexibilité, quand toutes les fonctions dites exécutives sont libérées, sollicitées, boostées. En termes de relations, c’est quand on est enfin disponibles pour se connecter. Ce n’est pas immédiatement accessible à tout le monde. Il y a celui qui a tendance à se faire des scénarios catastrophe, et qui retourne facilement en salle 1, celui qui a besoin d’écrire des scripts à suivre à la lettre pour se sentir en sécurité et en contrôle, avec retour case départ des deux protagonistes. Il y a les hollandais volants des relations d’un soir du plaisir immédiat, condamnés à rejouer la même scène indéfiniment sans même le réaliser. Et puis, il y a les quelques courageux qui auront exploré chaque détail de chaque salle pour en trouver la sortie après mille efforts et tentatives. Ce sont les résilients, ceux qui ont affronté leurs peurs, apprivoisé leur ombre et apaisé leur système de récompense. Serez-vous de ceux-là ?
Il reste le délicat cas (ne pas lire à voix haute…) des ruptures et autres séparations. Dans une société où l’on s’unit encore « pour la vie », l’arrêt d’une relation est souvent vécu comme une tragédie. Pourtant, dans ce monde où tout est supposé proche via les réseaux sociaux, la grande mode d’aujourd’hui se termine en ing : benching, zombeing, caspering, haunting… Tout ce vocabulaire a trait à comment tenir une personne à distance, généralement sans explication, simplement pour que cette personne reste à la juste place que vous lui accordez. Cette vision très utilitariste de l’autre est le pur produit de comportements de ceux emprisonnés dans leurs premières salles, et condamnant assurément leurs partenaires victimes de ces agissements sournois à errer eux-aussi dans les limbes de ces deux tombeaux émotionnels et relationnels. Et il y a le ghosting, arme des pleutres, laissant l’autre dans la sidération et les suppositions, véritables passeports pour retourner dans la salle 1 après une sacrée dégringolade et expulsion de la salle des plaisirs : lui est-il arrivé quelque chose, ne suis-je pas assez bien ? Y a-t-il de bonnes ruptures ? Si la relation est saine, et qu’elle est vue comme un espace de développement de chacun de ses membres, dès lors que l’un des deux membres ne réussit plus à s’y épanouir et n’y voit plus les trésors de la connexion, alors oui, il peut y avoir rupture. Mais une bonne rupture ne saurait se dérouler dans les affres des deux premières salles ; une bonne rupture se déroule dans la salle des trésors. Tout comme je propose à mes clients d’apprendre à offrir un non en cadeau (c’est bien mieux qu’un oui résigné ou arraché qui sera assorti de ressentiment), je pense que l’on peut et même doit offrir une rupture si l’un ou l’autre ne grandit plus dans la relation voire s’y ternit ou s’y désagrège. Une rupture réfléchie et offerte est un acte d’amour de soi et de l’autre, un acte d’amour de la liberté non pas pour batifoler ailleurs mais pour continuer de se développer.
Et à l’école, la bonne rupture est de savoir passer la main quand une relation avec un élève nous renvoie dans nos deux premières salles ; c’est aussi d’aider l’élève avec qui tout se passe bien et qui nous renvoie une bonne image de nous comme prof à se détacher de nous pour continuer en toute liberté sa route vers les apprentissages, sans nous regretter. Et ça, la fin, ça n’est jamais enseigné, ni dans les contes de fées, ni dans les cours de pédagogie. ET est-ce une fin, ou une transition vers un développement à venir, je vous laisse seuls juges et espère vous retrouver témoins 😉