Quand je fréquentais les bancs de l’université de Liège, j’ai fait un certain nombre de découvertes humaines et pédagogiques qui n’ont cessé de m’animer depuis. Combien de fois me sont revenus en mémoire les visages et comportements héroïques de mes 2 mentors (Marcel et Christian, que je n’ai bien sûr jamais appelés par leurs prénoms du fait de leur renommée et du respect iconique que je leur portais, mais ici, ça fait plus intime alors je m’offre cette familiarité rassurante et chaleureuse). C’est à Liège que j’ai fait mes premiers pas dans l’accompagnement et dans la formation. C’est à Liège que j’ai découvert des plateformes d’enseignement à distance inconnues à l’Education Nationale et des robots à programmer qui deviendront des années plus tard les marottes de mes petits élèves en difficulté. Et c’est à Liège (mon Amérique pédagogique, en somme) que j’ai découvert ce qui sera ma grande direction pédagogique depuis : le playful learning. Il s’agit d’introduire le jeu dans les apprentissages. Mais de façon judicieuse, en consommant le jeu avec modération. Je m’explique…. Deux concepts se font face, l’un triomphant sur les écrans de télé (la face sombre du concept), l’autre se faisant un peu plus laborieux. La face sombre s’appelle Dora l’exploratrice ou autres jeux Disney : sous couvert d’apprentissage, ces sociétés ont conçu des programmes assez pauvres intellectuellement, l’enrobage ludique prenant le pas sur le développement cognitif de l’enfant. Et la récompense n’est plus le gain de connaissance mais une voiture, un jeu, une médaille…. Bref, ces produits dits de l’«edutainment», où l’apprentissage est rendu ludique à l’excès au point d’en perdre la notion même d’apprentissage, ont souvent triomphé de produits certes un peu moins sexy mais ô combien activateurs de neurones. Aujourd’hui, le processus de gamification s’infiltre dans tous les pans de la société. A croire qu’apprendre sans jouer est devenu d’une austérité que l’on ne saurait plus supporter…. A croire aussi que l’humanoïde actuel a une attention chancelante qui ne peut être mobilisée que par des diables qui sautent d’une boîte et une musique de fanfare. A croire que la motivation version 2022 requiert des récompenses aussi futiles qu’externes, la satisfaction personnelle du gain d’apprentissage étant visiblement old school.

Ceux qui me connaissent savent que je suis une grande adepte de la gamification pertinente. Mes enfants ont navigué sur des CD Rom dès leurs premiers pas et à l’école je me suis emparée du TNI, des tablettes et des robots avec un enchantement quotidien. Aujourd’hui, dans le domaine de la thérapie et du développement personnel, je récidive !  Soutenue par mes 2 anges gardiens professionnels, je me lance dans une formation en thérapie par exposition à la réalité virtuelle…..

Pour continuer de débattre sur les bienfaits ou non de la gamification, je ne saurais que voir toutes les possibilités offertes par les « Serious games », ces jeux de simulation qui permettent de se préparer à un entretien ou d’acquérir des réflexes sécuritaires quand on est pilote d’avion. Mais je continue de déplorer certaines dérives où l’excès d’enrobage détourne l’attention du cœur de l’apprentissage….

Petit exemple, dans le cadre d’un coaching business que je suis …. Dès que je me connecte à mon espace de formation, je suis assaillie de cotillons et de coups de klaxon et je gagne des points à chaque module…. Le formateur est déguisé en cosmonaute, je dépasse un trou noir à bord de ma fusée…. no comment.

Alors que je conçois des dispositifs de formation pour enseignants, je me penche sur des sujets passionnants, et tout récemment j’ai justement creusé le thème de l’attention !

J’ai donc visionné un épisode des célèbres TEDX. Les conférences TED sont organisées au niveau international par une fondation à but non lucratif nord-américaine dont le slogan est « des idées qui valent la peine d’être diffusées ». On peut en trouver sur plein de sujets, avec des intervenants toujours de grande qualité. Dans cette conférence, Jean-Philippe Lachaux présente le programme ATOLE, premier programme d’éducation de l’attention à l’école.

Si vous voulez visionner cette conférence très accessible :

Cette conférence met l’accent sur ce que les grandes entreprises, notamment de l’edutainment, ont compris : les mécanismes d’activation des circuits de la récompense. C’est donc ça qui fait le succès de Dora l’exploratrice et des jeux creux de Disney. Par cette faille de sécurité dans nos cerveaux, des petits malins peuvent faire entrer ce qu’ils veulent…. Et ce circuit de la récompense va dévier notre comportement et attirer de plus en plus notre attention sur certains sujets qui ont un petit côté excitant. Nous voici donc entrés dans l’ère du zapping, pour rassasier ce circuit de la récompense qui se lasse de plus en plus facilement et requiert toujours plus de nouveauté excitante. D’où le peu de tolérance à la frustration des humains du XXIème siècle et les incohérences subites qui me heurtent tant. D’où aussi la grande pollution que nous ingurgitons chaque jour avec des aliments intellectuels empoisonnés mais bien emballés.

Clairement, mes textes sont probablement des aliments un tantinet résistants qu’il faut mastiquer un peu pour pouvoir les digérer, parfois un peu acides ou amers. Peut-être même contribuent-ils à rendre votre cerveau moins facilement hackable en développant des papilles neuronales adaptées à une sapidité non immédiatement réconfortante. En fait, mes écrits devraient être remboursés par la Sécu pour la préservation de l’esprit critique, au profit de la libération intellectuelle. J’attends le jour où mes chroniques seront prescrites sur ordonnance. Mumu déclarée d’intérêt général !

Petite blague au passage… l’hypnotiseuse que je suis ne peut résister : dites-moi comment hacker votre circuit de la récompense que je puisse capter davantage votre attention et m’infiltrer dans votre cerveau ?

Alors, petit sujet pour justifier mon adoubement par la Haute Autorité de Santé : travaux pratiques immédiats…. Affûtez votre attention, et à vous de convaincre votre système de récompense que le bénéfice est au bout de la réflexion.

Après la carotte de la perspective d’un dénouement heureux, petite digression pour brandir le bâton de la peur de la damnation éternelle… Revenons un instant sur l’histoire de Faust, qui aurait eu beaucoup à gagner à lire mon propos liminaire… Ce savant renommé fait le bilan de sa vie et en tire deux constats accablants : malgré sa science, il lui manque une compréhension profonde des choses et des résultats probants ; et en tant qu’homme, il est incapable de profiter de la vie dans toute sa plénitude. Aurait-il mal géré son système de récompense ? Dans cette situation sans espoir, il promet son âme à Méphisto si ce dernier parvient à le libérer de son insatisfaction et de son tourment. Le diable emmène alors Faust dans un voyage autour du monde, et lui donne un aperçu des plaisirs de la vie avec la fin que l’on sait…

Revenons à notre affaire… Ces derniers mois, j’ai dû faire face à pas mal d’adversité physique (entorse, COVID, sinusite) et émotionnelle (deux gros chocs et deux voies sans issues). Et la spirale semblait être sans fin, je me sentais comme brassée par un lave-linge. Et sans aller jusqu’à appeler le diable pour tenter de trouver un itinéraire bis pour distraire mon esprit, j’ai eu recours à mon petit diable intérieur, celui que l’on mobilise quand on a perdu espoir et lucidité. Et c’est précisément ce petit diable intérieur qui fait tourner le sèche-linge : alimenté par notre souffrance, il conseille mal et pousse à prendre des décisions ou émettre des phrases catastrophiques. Et comme avec la Marguerite de Faust, il y a aussi des dommages collatéraux. Le diable intérieur tient un discours qui reflète des croyances que l’on a nourries sur la vie, et sa voix est à la fois défaitiste et vengeresse. Bref, un vrai cocktail explosif. Alors je me suis appliqué un petit exercice de coaching pour sortir de ce satané lave-linge, et le résultat a été édifiant. Cet exercice consiste à renverser ses croyances, comme un renversement des tables dans une révolution intérieure. Si tant que j’agis à partir de mes blessures j’augmente ma souffrance et j’en crée autour de moi, que se passe-t-il si je dégomme tous les piliers de cet édifice mental ?

Et, ne riez pas, j’étais dans ma baignoire à subir la poussée d’Archimède quand j’ai eu 4 révélations : Eureka ! Soyez rassurés, contrairement au père de la formule, j’ai réussi à éviter de faire le tour du voisinage en tenue d’Eve….

Eureka 1 :

Pour vivre la vie qui me convient, faite de cohérence et de stabilité émotionnelle, il convient que je m’oriente vers des gens qui savent développer une attention soutenue et sélective sur moi (plutôt qu’une attention partagée sur tout un tas de distractions) et qui ont un système de récompense apaisé.

Pas évident si l’on considère les systèmes de récompense en jeu à l’âge adulte et les distracteurs très nombreux sur la toile.

En plein milieu de l’article que je lisais, un distracteur de taille !

Avec comme promesse un système de récompense FACILE …. Et sans aller jusqu’à ce type de mise sur le marché de la viande humaine, les sites de rencontres sont probablement le lieu où l’on trouve un nombre élevé de personnes à la recherche de distractions. J’ai probablement percé ici un des mystères qui taraudaient mes amies et moi-même ces dernières années.

Et le pouvoir semble accentuer les dommages causés par ces systèmes de récompense assoiffés : en entreprise, en politique, au cinéma, combien faut-il encore de scandales mettant à jour des systèmes de rabattage pour satisfaire l’intolérance à la frustration de personnages immatures? Chers amis, enseignez la frustration à vos petits de toute urgence ! Autant c’était mon travail d’éduquer les enfants dans leur système attentionnel et dans la régulation de leur système de récompense, autant je considère que les adultes en face de moi doivent faire leur propre ménage. Mais comment ?

Eureka 2 :

Pour trouver le comment, il faut se poser la question suivante. De quoi « protège »ce système de récompense immature et volatil ? Il évite de se pencher sur ce qu’il se passe à l’intérieur de nous-mêmes. Certains se jettent sur cigarette, chocolat, alcool…. Outre le plaisir de la consommation en soi, le système de récompense va aussi se nourrir de l’évitement de l’inconfort. Voilà la base de toute consommation compulsive. Dans ma formation en réalité virtuelle, le psychiatre propose une technique pour gérer le « craving » lié à toute dépendance. Le comment faire son ménage passe par une acceptation des émotions, leur contemplation, le ralentissement de l’action et l’attente qu’un moment émotionnellement meilleur arrive de l’intérieur et non de l’extérieur. En tant qu’enseignante, j’ai beaucoup travaillé avec la roue des émotions pour permettre aux enfants d’élucider le besoin derrière l’émotion et comment combler ce besoin d’une manière écologique. Dois-je me promener quotidiennement avec cet outil évangélisateur, portant à chacun la bonne nouvelle qu’il peut se libérer de l’asservissement à son système de récompense ?

Eureka 3 :

On souffre tant qu’on n’a pas trouvé l’apprentissage derrière l’expérience désagréable. Me concernant, tapi derrière mon système de récompense un peu fragilisé se trouve mon biais cognitif « préféré » : le biais de confirmation. C’est ce fameux biais qui va pousser à sélectionner l’information et répéter les mêmes schémas pour confirmer les croyances déjà actives en nous. Curieusement, la confirmation d’une croyance négative va apporter un soulagement et déverser un flot de dopamine dans votre corps… C’est incroyable, mais dès qu’on trouve l’épine qu’on a dans le pied, le lave-linge s’arrête de tourner ! Et l’épine ce n’est pas l’autre, c’est en quoi mon histoire fait que je souffre de ce que l’autre me fait expérimenter aujourd’hui. Et voici justement mon Eureka 4 qui entre en piste.

Eureka 4 :

Comme le linge sale qui tournait avec moi dans le tambour métallique avait une odeur de brouille, d’exaspération et de jugement intransigeant, je choisis aujourd’hui d’introduire une dose d’assouplissant avec cette magnifique phrase de Goethe : « Traitez quelqu’un tel qu’il est et il ne fera qu’empirer. Traitez-le tel qu’il pourrait être et il deviendra tel qu’il devrait être. »

Cette phrase me fait reconsidérer ma gestion des chocs et impasses de ces derniers mois. Elle me permet d’entrevoir comment sortir par le haut de situations qui semblaient se refermer sur moi comme des sables mouvants. Je peux enfin arrêter de me débattre dans mes relations avec ces autres que je percevais comme mouvants sans réaliser que je contribuais à mon propre enlisement.

Cette phrase me hante aussi depuis l’invasion de l’Ukraine. On est sûrement nombreux à vouloir que Poutine « paye » pour son comportement, mais que risque-t-il de se passer si on le traite comme un paranoïaque capable d’appuyer sur le bouton ? Est-il raisonnable de le mettre dans un angle, tel un sanglier blessé et encerclé ? Est-ce être faible que d’essayer de faire se rallumer même sa plus petite lueur d’humanité ? Pour moi, c’est comme le pari de Pascal: qu’a-t-on à y perdre ou y gagner que de miser dessus?

De même, en tant que maman et instit, combien de fois ai-je conspué ou puni un enfant pris le nez dans le bocal de confiture ? Que ne lui ai-je plutôt montré comment se comporter ?

Et ma vision de la justice en est toute questionnée aussi. Est-ce en renforçant l’identité criminelle de la personne en l’enfermant que l’on va faire d’elle une personne meilleure ? Est-ce en fustigeant l’enfant harceleur qu’on va l’amener à plus d’empathie ? Moi qui étais dubitative sur la méthode PIKAS : elle vise à expliquer à l’élève harceleur que l’on est préoccupé par la situation de la victime, puis sans l’accuser ni le culpabiliser, l’associer au règlement du problème. Ce n’est pas renoncer, au contraire c’est très ambitieux de vouloir replacer l’humanité au centre du cœur de chacun.

Voilà bien un renversement de pas mal de mes croyances par une seule phrase du papa de Faust.

Et mon lave-linge s’est arrêté de tourner, j’ai appris. J’ai appris qu’en réprimandant l’autre je réduisais son espace d’évolution.

Je ne recommencerai pas. Enfin, j’essaierai. Et si je trébuche encore, je me relèverai plus vite.

Je suis en paix, et ma paix va contaminer l’autre comme le faisaient jusque-là ma déception et ma douleur.

Alors je propose que l’on sorte tous nos étendoirs émotionnels au jardin pour faire s’évaporer douleurs et tensions. Récupérons une lingerie senteur de liberté pour la coller sur nos peaux et celles de nos alter ego, car l’autre est mon miroir et je me vois en vous en même temps que je vous vois, que vous me voyez et que vous vous voyez en moi.

PS : Faust est mon opéra français préféré ….

https://www.youtube.com/watch?v=2BC–m-uC64 peut-être est-ce parce qu’il s’y déroule la nuit des sorcières 😊 et parce que c’est osé d’insérer 20 minutes sans chant dans un opéra….

https://www.youtube.com/watch?v=LW-6HMenF74 – Déposons les armes, puissé-je être entendue…