En lisant ce roman d’Oscar Wilde à 12 ans, je ne me doutais pas de la signification qu’il prendrait au cours de ma vie. Il devint immédiatement mon roman fétiche, indétrônable depuis, probablement parce qu’il avait tellement de choses à me dire sur moi et sur la vie.
Avant de développer le tableau, je vais évoquer l’ombre, et finalement l’ombre au tableau de notre vie.
Une de mes récentes lectures (La Fin des Temps, Murakami) évoquait l’ombre de tout un chacun comme métaphore et matérialisation de notre capacité à aimer. Pourtant, plus souvent, l’ombre représente notre part maléfique, la noirceur de notre âme, nos zones d’ombre intérieures projetées à l’extérieur de nous dans tous nos comportements jugés négatifs : peur, agressivité, tristesse, jalousie, envie, …
De récentes lectures m’ont éclairée sur la compréhension de nos ombres intérieures. Nos ombres seraient en réalité les parts de nous qui n’auraient pas été validées dans notre enfance, ces parties qui auraient été considérées comme insuffisantes, indignes d’amour, inadéquates par rapport au moule sociétal et familial…. Toutes ces parts, que nous avons, dès les premières phases de notre vie, dû rejeter, abandonner, glisser sous le tapis comme une mauvaise poussière. Toutes ces parts de nous refoulées mais toujours si présentes comme des épines dans le pied, ces parts de notre identité jadis jugées inopportunes et censurées qu’il nous faut au fil de la vie débusquer et réintégrer pour à nouveau nous sentir pleinement nous-mêmes. En méditation et en hypnose, les lumières et autres bougies sont très souvent utilisées comme métaphores pour aller à la rencontre de nos parts d’ombres … pour mieux les éclairer : les reconnaître, les accueillir, les transformer. C’est d’ailleurs ce qui fait la force de ces démarches encore jugées alternatives, notamment en occident où l’on préfère les thérapies par la parole consciente, brèves ou non, parfois comportementales pour une efficacité prônée par notre mode de pensée. Dans ces thérapies classiques, on vous propose souvent de « faire avec » votre mal-être, de l’ignorer par des méthodes Coué ou des molécules chimiques, de continuer à tenter de gérer tant bien que mal cette poussière et cette épine. L’hypnose et toutes les thérapies qui proposent de prendre pleinement en considération l’enfant intérieur, de rechercher le traumatisme source, de voir où il se loge dans le corps, de l’accueillir, et de faire un « Transfert d’Etat de Ressources » : nous, adultes, avons la capacité à aller réparer, soigner, notre enfant intérieur. Les anglo-saxons appellent cela le « re-parenting ». Si nos parents ont fait ce qu’ils ont pu avec leurs propres ressources lors de notre enfance, il est de de notre responsabilité d’aller aujourd’hui accueillir ces parts de nous qui se sont senties censurées, réprimées, jugées et aller ainsi illuminer nos zones d’ombres qui disparaissent aussitôt.
Et voilà Dorian Gray, cet homme apparemment magnifique dont le portrait porte peu à peu les marques de ses mauvaises actions au point qu’il doive le reléguer dans le grenier, à labri des regards, pour pouvoir continuer à arborer un visage innocent tout en se complaisant dans une malveillance quotidienne. Ce roman est devenu la métaphore de certains profils psychologiques, clivés entre leur apparence et la réalité de leurs actes et pensées. Aujourd’hui, je déclare non sans provocation que nous sommes tous des Dorian Gray ! Je m’explique….. Si dans notre enfance nos émotions et notre pensée n’ont pas été pleinement validées (« ne sois pas si triste, si sensible si en colère »), si nous avons vécu des situations d’amour conditionnel – ce que chacun d’entre nous a sûrement vécu (plus de preuve d’amour en cas de comportement attendu) – sans parler de situations d’abus émotionnel et d’amour parental narcissique, alors nous avons tous un jour enfilé un masque, une fausse personnalité liée à notre besoin de survie psychique en tant qu’enfant : « c’est OK, ce n’est pas si grave si je ne suis pas validé pleinement comme l’individu que je suis vraiment, avec ce que je pense et ce que je ressens réellement ». En tant qu’enfant, nous n’avions pas d’autre choix que de nous accommoder de notre environnement émotionnel. Et en grandissant, nous avons continué à accepter des situations qui nous heurtaient, nous avons continué à faire semblant d’être forts. Ce faisant, nous avons creusé le décalage entre notre moi profond et ce que nous donnions à voir. La méthode Coué, le « si je veux, je peux » « faire contre mauvaise fortune bon cœur », et le positive thinking sont à la mode dans notre société méritocratique qui ne tolère pas la moindre tâche sur le vernis, la moindre faiblesse. Si le positive thinking consiste à voir le beau dans tout ce qui m’arrive de difficile en réprimant mes vraies émotions, alors c’est que l’on continue à mettre en place notre mécanisme de survie construit pendant l’enfance, un véritable mécanisme de défense basé sur le déni des faits mais surtout sur le déni de moi. Si le positive thinking consiste en une auto-censure et une auto-invalidation de mes propres émotions, alors j’augmente mon masque, mon faux-self, je nourris la comédie de ma vie. Ainsi, mon tableau dans le grenier portera les marques de ce nouvel abandon de moi-même. Si le positive thinking maintient dans ce déni apparemment confortable, la souffrance sera simplement gérée – et donc réactivée ultérieurement – au lieu d’être guérie. Si, au contraire, j’accueille l’émotion difficile, je la remercie car elle m’indique une ancienne blessure, et je la transcende en comprenant où elle a pris sa source, alors je réintègre les parties de moi que j’avais abandonnées jadis, disqualifiées. Au lieu de nourrir mon faux-self, mon masque, mon tableau, je regarde mon ombre en face et elle devient lumière. On voit bien tout le bien-être qui en ressort. C’est là que le positive thinking peut être un outil intéressant, parmi plein d’outils de développement personnel : au lieu de voir naïvement du positif dans tout ce qui m’arrive – avec le leurre de ce mécanisme de défense – parfois la seule chose positive à voir dans un événement est ce que cela m’apprend sur moi-même et comment cela va me faire grandir et m’aider à panser des vieilles plaies. Seulement alors, couplé au truthful feeling[1], le positive thinking ne sera pas un pansement sur une jambe de bois mais contribuera à un vrai chemin de développement personnel, à un meilleur alignement interne et permettra de voir sans faux-semblant, avec lucidité et authenticité, le beau dans toute situation.
Je pense que notre société occidentale actuelle qui a érigé un culte de l’apparence, de la fierté, de l’invulnérabilité, de l’égo, de la comparaison, de la jalousie, de l’avoir plutôt que de l’être, repose sur de fausses prémisses. Et malgré toutes nos possessions et notre sentiment de supériorité nous sommes bien loin du bonheur. En fait, loin d’être des conquêtes, ce sont les ombres au tableau de notre vie. Des comédies du bonheur créées pour répondre à nos peurs d’être imparfaits et vulnérables. Je vous propose le mantra suivant : « Que notre ombre intérieure soit accueillie, et ainsi dissoute, et que notre ombre extérieure – reflétant ouvertement notre capacité à aimer – prospère librement. » Alors j’invite chacun à contempler avec attention son tableau dans le grenier, car il est notre enfant intérieur qui continue de souffrir pendant que nous continuons à faire semblant. J’invite chacun à faire redescendre son tableau du grenier, à l’exposer en pleine lumière, à l’enlacer, et nous créerons une société de résilients, une société de gens heureux et aimants.
[1] Ressenti émotionnel authentique