J’ai encore eu la chance d’être invitée à une représentation générale à l’opéra de Paris. Gratitude !!!

Parmi les ballets qui m’étaient proposés, j’ai choisi Béjart… les ballets de la modernité dans le palais de la modernité 😊

Trois pièces un peu disparates, mais chacune tellement émouvante, quand prise séparément.

Cela commence par l’oiseau de feu, oiseau légendaire issu des folklores slaves. De son plumage majestueux – ici une combinaison moulante et ajourée, unisexe – irradie une lumière rougeoyante et dont une simple plume peut ainsi éclairer ses alentours. Cet oiseau représente en même temps une bénédiction et une malédiction pour celui qui le capture.

Le compositeur, Igor Stravinsky en 1910, devint célèbre et considéré comme l’un des compositeurs les plus influents du XXe siècle grâce à la grande diversité de ses styles, notamment trois ballets : le fameux Oiseau de feu (1910), Petrouchka (1911) et son œuvre maîtresse Le Sacre du printemps (1913).

Dans ses versions inspirées des contes, l’oiseau de feu fait l’objet d’une quête difficile pour le héros, et en véritable objet magique, il permet de lever un sortilège. Dans le ballet de Béjat de 1970, on est assez loin de la version des contes de fées. Ici, point de plume, on se concentre sur l’essentiel, et l’oiseau devient une sorte d’icône révolutionnaire guidant des partisans vêtus de vêtements de combat. Ces jeunes « partisans » rechargent leur ardeur et leur énergie à la source de vie, représentée par l’Oiseau de feu. Pour Béjart, L’oiseau de feu met en avant une Russie révolutionnaire. Béjart souhaite dégager l’expression abstraite de ces éléments et « L’Oiseau de feu est le Phénix qui renaît de ses cendres. L’Oiseau de vie et de joie, immortel, dont la splendeur et la force restent indestructibles, internissables. ». Pour le Maurice qui a mis son nez dans le bocal de la danse modernisée, le poète et le révolutionnaire sont des oiseaux de feu qui renaissent de leurs cendres….

Les rôles des deux oiseaux, de feu et phénix, peuvent être interprétés indifféremment par des danseurs homme ou femme. Ce qui compte, n’est pas l’incarnant mais l’incarné et l’émotion qu’il exprime, notamment en remuant les bras comme des battements d’ailes. Ce soir-là, Mathieu Ganio incarnait magistralement l’oiseau de feu et Florimond Lorieux l’oiseau Phénix.

Le Chant du compagnon errant prend le relais. Ce duo aux déplacements souples dans une géométrie dynamique, véritable démonstration du style de Béjart, où les mouvements reprennent un vocabulaire classique tout en dégageant une énergie moderne dans l’expression d’un discours sensuel et expressif. Des mouvements avec une telle énergie que l’on voit le mouvement comme en train de des décomposer, une alternance entre des tableaux tristes et tableaux joyeux, des lignes brisées, des sauts d’une légèreté infinie, laissant des danseurs comme en suspension.

Quant au thème, il s’agit de deux compagnons errants, semblables aux apprentis du Moyen Age mais semblables aussi à Béjart et à sa troupe de ballet du XXème siècle, allant de ville en ville à la recherche de leur destinée. Ils représentent la lutte contre soi-même et contre la solitude, ce couteau dans la poitrine comme le décrivait Mahler, le compositeur du morceau. Car si ce duo m’a procuré moins d’émotion par la danse, du fait de l’absence de corps de ballet et d’effet de masse, une autre dimension s’est invitée pour me ravir : un chanteur d’opéra dans la fosse, avec une de ces voix de barytons qui me touchent tant, entonnait un lied de Mahler. L’art est synesthésie, et tous mes sens sont saisis.

Enfin, arrive le troisième morceau, le chef d’œuvre, le mythique Boléro !

Entouré de danseurs, seul sur une table, l’interprète principal – danseur ou danseuse– se laisse transporter par les rythmes envoûtants dans une danse érotique et hypnotique. Quelle modernité pour cette œuvre de 1961 !

Ce jour-là, c’est une femme sur la table.

Les impressions qui me viennent, fortes et diverses : j’ai l’impression de voir une reine Cléopâtre – aux mouvements quasi orientaux et parfois proches de la danse d’un serpent –  entourée de scorpions prêts à piquer, et parfois je ressens une énergie proche de la danse endiablée de Brigitte Bardot dans le film de Vadim, elle aussi sur une table en 1956. Une forte sensualité, voire une sexualité assumée dans d’intenses mouvements de bassins, irradie ce moment dont l’intensité monte crescendo avec brio. Démarrant par un simple mouvement de bras éclairé par un jeu de lumière, le danseur central s’anime peu à peu en même temps que les danseurs périphériques se lèvent et l’entourent dans une dynamique proche du derviche tourneur.

Cette interprétation dansée du Boléro, prend une ampleur incroyable, l’emmenant dans une autre dimension !

Les grands interprètes de ce morceau ont tout de même été Sylvie Guillem, Aurélie Dupont, Marie-Agnès Gillot, Patrick Dupond, Nicolas Le Riche ou José Martinez, Jorge Donn… Pour nous, c’est Amandine Albisson qui a réalisé la performance, chapeau bas !

Pour en prendre plein les yeux, les oreilles, et la peau :

Bejart Le Riche Bolero

C’est mieux filmé sur cette première vidéo, mais j’ai une petite préférence pour l’énergie féminine de la vidéo suivante… Le contraste apporte, je trouve, une dimension de plus…

Bejart Guillem

Régalez-vous !

NB : je suis contente de montrer cette photo, qui apporte un peu de diversité sur scène, ce qui n’était guère le cas le jour de notre représentation. Je serais curieuse de voir le Boléro interprété par Guillaume Diop….