« L’espoir est une mémoire qui désire, le souvenir est une mémoire qui a joui. »
Honoré de Balzac
Abordons un sujet politiquement incorrect, et pourtant fort d’actualité : la fin de vie, et comment la rendre moins inconfortable.
Une ouverture sur ce sujet m’a été offerte par un couple d’amis qui m’a offert un livre sur le rapport de la médecine à la mort. Drôle de cadeau, direz-vous ! Précisément, les meilleurs cadeaux sont le poil que l’on vous offre pour vous aider à mieux vous gratter le cerveau. Gratitude !
Pour ma part, j’ai déjà tout planifié, avec certes un brin d’humour !
A 85 ans, j’entre dans une maison de séniors avec les équipements suivants :
- Une piscine, avec un beau maitre-nageur pour mes cours d’aquagym
- Des cours de zumba gold et de yoga, et vue ma fibre pédagogique, je veux bien coanimer
- Des tournois de bridge, clin d’œil à un atavisme familial
- Des après-midis dansants, où on ferait venir de beaux et fringants danseurs de 75 ans
Avec cette installation, aucun risque que je m’ennuie ni que mes enfants s’inquiètent pour moi. Je profite, c’est comme le Club Med, all inclusive ! A moi les buffets et les G.O. 😊
Et le moment venu, là aussi le scénario est prêt. Au moment où les activités pré-citées me deviennent impossibles, et que je risque de me retrouver avec pour seul environnement un fauteuil ou un lit, le plan est le suivant : un départ assisté en mode célébration de la vie que j’aurai menée. Bref, le bouquet final du feu d’artifice de mon existence. Mes enfants ont déjà reçu les instructions : des câlins de mes 2 enfants pour faire le plein d’amour comme carburant du dernier voyage, un beau chippendale antillais pour partir avec une belle image de ce monde (on ne se refait pas), et un verre de bon rhum pour avaler un petit comprimé peut-être accompagné d’un space cake pour déjà entamer le voyage intergalactique.
Pas sûr que mes directives anticipées un peu farfelues mais bien réconfortantes soient acceptées par la législation…. Mais d’ici-là, l’eau aura coulé sur les ponts devant le Palais Bourbon.
Dans les directives de fin de vie que l’on peut remplir (imprimé disponible sur internet), on peut indiquer le degré d’acharnement que l’on souhaite voir mis en œuvre pour maintenir le battement du cœur, parce que clairement, le reste du corps a déjà fait fau bond au moment où ces mêmes directives seront consultées : parmi les super choix au QCM de la fin de vie, et où toute réponse enlève de toutes façons des points de vie, d’espoir ou de confort, on trouve :
-j’accepte ou je refuse que l’on me maintienne artificiellement en vie dans le cas où j’aurais définitivement perdu conscience et où je ne pourrais plus communiquer avec mes proches ; une vie artificielle, encore pire que la vie virtuelle, là pas de casque et pas d’univers enchanté à contempler !
– j’indique si j’accepte ou si je refuse que soient entrepris, puis dans une question suivante – arrêté, une liste de traitements qui font tous plus rêver les uns que les autres … dont l’alimentation et hydratation artificielles … Celle-là, elle ne semble pas sympa comme option, et c’est une part du début précisément ! Là, Leonetti, tu as bien déraillé quand tu as pondu ton texte de loi.
– j’indique ici si je veux ou non bénéficier d’une sédation profonde et continue associée à un traitement de la douleur, c’est-à-dire d’un traitement qui m’endort et qui a pour objectif la perte de conscience jusqu’à mon décès. Ca, c’est la part hypocrite : j’ai perdu conscience, donc je ne pense plus, mais je vis. Socrate ne doit plus rien comprendre….
Attention, pour officialiser ses directives anticipées, il convient de nommer une personne de confiance qui aura quelques mots à dire si vous avez perdu conscience. Si vous soupçonnez votre conjoint d’attendre votre départ avec une certaine hâte, pensez quand vous rédigez vos directives à nommer une personne de confiance qui vous soit favorable, au risque sinon de faire peut-être prématurément le voyage vers l’infini.
Ils sont sympas sur le site du service public : on peut revenir sur nos directives (ouf), et il n’y a pas de date limite à préciser, donc ces directives ne constituent pas une date de péremption (ouf encore !).
Moi qui ai fait piquer chacun de mes chiens que j’adorais, je me questionne. Je leur ai en effet évité des souffrances inutiles car l’échéance était proche et certaine. J’ai donc fait ce cadeau à mes fidèles compagnons à 4 pattes. Et j’ai été félicitée par les différents vétérinaires pour l’amour dont je faisais preuve dans cette décision aussi douloureuse que charitable. Est-ce un cadeau que l’on peut offrir avec amour à soi-même ou à un proche ? Pas en France…..
Et le récent suicide assisté du cinéaste Jean-Luc Godard de donner de l’eau au moulin au projet sociétal de notre Président. Peut-être le seul point où il ne me rendra pas très irritée, à voir …
Pour en revenir à l’ouvrage reçu en cadeau, Le médecin, la liberté et la mort de Denis Labayle, je découvre des aspects culturels qui me poussent à renforcer des convictions et des faits divers auxquels je porte désormais un regard moins convenu. En effet, pour commencer par ce dernier point, certains scandales d’anges de la mort en milieu hospitalier sont en réalité la mise à jour d’une grande hypocrisie nationale : cachez cette fin de vie que je ne saurais voir. Et pour les soignants, cachez ces pratiques transmises officieusement, clandestinement, par humanité. Un cas a retenu mon attention, celui de la famille Debré où l’ancêtre a requis et les enfants – médecins et/ou politiciens pour certains – ont fourni l’aide médicale nécessaire malgré leur position publiquement farouchement opposée.
En France, nous avons ouvert depuis plus de 30 ans des services de soins palliatifs, destinés à la prise en charge de malades en fin de vie (douleurs, angoisses, ….). Avant de lire l’ouvrage, je me disais que ce n’était pas mal d’avoir des spécialistes, rôdés pour accompagner vers la fin du voyage. Mais c’était sans avoir un aperçu des défenseurs de cette orientation bien française : les culs bénis. Contrairement aux philosophes antiques qui acceptaient la cigüe plus que le déshonneur, les religions conspuent une mort non divine, notamment le suicide, car selon les religions du Livre il est important de respecter le dessein divin. J’adore le raisonnement de Labayle sur ce thème. La médecine nous accompagne toute notre vie pour nous aider précisément à déjouer les précipitations divines. Pourquoi la médecine laisserait-elle de nouveau champ libre à la nature eu dernier moment, en laissant une simple sédation faire son œuvre, accompagnée d’une barbare privation d’alimentation et d’hydratation par-dessus le marché ? Même l’Espagne et le Portugal viennent de faire des avancées en faveur de l’euthanasie. En France, il semble que les institutions soient noyautées de grenouilles de bénitier dans un entrisme qui pollue le débat. Et poussés par un égo aussi vaniteux que vain, on voit les conséquences d’une génération de médecins partis en croisade contre la mort. C’est un projet perdu d’avance, elle gagne toujours ! Et que vaut un corps maintenu en vie coûte que coûte, enfermé dans un univers carcéral socialement admis : un lit d’hôpital ?
Ma position a beaucoup changé sur un sujet dérivé du thème global. Ma deuxième grossesse ayant été qualifiée de pathologique, avec des pronostics tous plus sordides qu’inexacts, j’ étais dans un état d’esprit immature de vouloir sauver mon bébé à tout prix. Aujourd’hui, je réalise, avec une gratitude infinie que le vent ait tourné en notre faveur, qu’il est déraisonnable voire cruel de réanimer même un bébé au-delà du raisonnable, en raison des séquelles attendues. Quand à l’échographie on demande le sexe du petit, on doit bien comprendre que la réponse est bien moins cruciale que le nombre, la place et le fonctionnement des organes dans le petit corps photographié.
En Belgique, demander l’euthanasie est un droit – très encadré. Il faut deux avis médicaux actant 3 conditions : maladie incurable, souffrance et demande personnelle libre et réitérée. En aidant son patient à mourir, comme le fait le vétérinaire, le médecin continue de prendre soin de son patient et l’euthanasie est un acte médical.
La Suisse a été un peu moins loin, autorisant seulement le suicide assisté. Mais c’est déjà un premier pas pour permettre à ceux qui le souhaitent de partir selon leur conception de la dignité.
Bon, je ais essayer de ne pas clôturer ce texte sur une note trop macabre. Si vous voulez gagner en humour sur le sujet, lisez le Magasin des suicides de Jean Teulé, ou regardez son adaptation cinématographique par Patrice Leconte 😉
A propos de grand écran, je viens de regarder avec un grand plaisir le magnifique film Illusions Perdues, de Xavier Giannoli, tiré du roman de Balzac. 7 Césars en 2022, excusez-moi du peu ! Je me demande, évidemment, quels traits de plume auraient glorifié ou dénigré les propos de Labayle dans les rotatives du très libéral Corsaire-Satan de l’époque. Aujourd’hui, les joutes verbales ont lieu sous les projecteurs h 24 de BFM ou les feux de la rampe en continu de CNEWS, et l’opinion publique gracie ou condamne autant que la justice les anges de la mort et autres médecins laïques démoniaques ou humanistes selon le point de vue.
Je me fais souvent la remarque qu’il est urgent d’arrêter de vivre dans l’illusion que tout est sous garantie dans notre vie, ma fameuse société Darty. Le réaliser et l’accepter, c’est peut-être ça la clé du bonheur. Et la conclusion du film aux sources balzaciennes m’a décidée à entamer cet opus : « Il avait arrêté d’espéré, il allait pouvoir commencer à vivre. » Et si commencer à vivre, c’était accepter de mourir un jour. Quand arrivera mon point final, souhaitez-moi que les virgules, guillemets et polémiques de mes textes soient le témoin d’une mémoire qui a joui. C’est la personnalisation de ma directive anticipée, ma petite touche humaine dans cet univers de formulaires macabres 😉